L’initiative populaire et la montée du conservatisme en Europe : l’exemple en Suisse

La démocratie directe fait partie du triptyque des valeurs politiques suisses avec la neutralité, le fédéralisme. Ce principe est fortement ancré dans la population suisse qui le place même devant le fédéralisme. Toutefois, il est l’un des écueils à une future adhésion de la Suisse à l’Union européenne aussi bien sur le fond par la peur de la perte de ce mécanisme par le peuple que sur la forme car la démocratie directe jouera le rôle d’approbateur de l’adhésion. La démocratie directe est ainsi un élément central de la vie politique suisse et est citée fréquemment en exemple au sein de l’Union européenne. Néanmoins, les dernières actualités de cet outil démocratique nous amènent à nous questionner sur les volontés d’implémenter des instruments de démocratie participative au sein de l’Union européenne.

 

La Constitution fédérale de 1848 a créé la Suisse moderne et transformé une Confédération en Fédération, même si le nom du pays est resté tel quel. Le principe fédéraliste était ainsi central, cependant il est important de se rendre compte qu’il n’y avait que très peu de démocratie directe. En effet, il n’existait qu’une possibilité d’initiative populaire pour une révision totale de la constitution. Le véritable tournant a été l’année 1874 avec la première révision constitutionnelle et l’introduction du référendum facultatif en tant que mesure de contrôle des lois. Il servait d’instrument oppositionnel et a été introduit sous la pression de la frange la plus radicale et participative du mouvement libéral.

Affiche pour un référendum

Après cette création, la démocratie directe a évolué en incorporant de nouveaux outils – les initiatives populaires au niveau fédéral pour des révisions partielles de la Constitution et les referendums obligatoires à la fin du XIXème et de nouveaux domaines de compétence – les affaires étrangères, les questions de réduction de la souveraineté et les adhésions à des traités internationaux au milieu du XXème. Ainsi un réel et fort attachement à la démocratie directe et une demande de participation accrue s’est faite en Suisse, cependant des limites dans ces volontés existent, ainsi l’initiative en matière législative créée en 2003 au niveau fédérale a été supprimée par une votation populaire en 2009. La démocratie directe touche aussi les niveaux cantonaux et communaux avec également des initiatives populaires et des possibilités de référendums à ces deux niveaux.

Face à cet aspect identitaire, la rationalité politique est autre : la démocratie directe permet un contrôle restreint des élites sur les objets politiques et une légitimité plus grande : « Les instruments de la démocratie directe rend le système politique suisse plus ouvert et moins autonomes à son environnement que n’importe quel autre système politique. (Kriesi, 1998 p. 99) » Les fonctions et les conséquences sur le système des deux instruments de la démocratie directe sont différents : l’initiative populaire a une double fonction d’ouverture et de mise à l’agenda de thématiques non développées par les forces politiques présentes au niveau institutionnel, lors de son utilisation par la gauche et de blocage par l’extrême-droite (Kriesi, 1998 p. 121). Cependant, sur ce dernier point, les forces politiques conservatrices en Suisse utilisent le droit d’initiative populaire, dorénavant, en tant qu’instrument de création et non plus de blocage.

La première initiative populaire acceptée date de 1893 et touche la protection des animaux et l’interdiction de leur abattage sans étourdissement précisément, cependant cette initiative visait à rendre difficile la pratique du judaïsme et interdire l’abattage selon les rites judaïques. En fait, seulement dix-sept initiatives populaires ont été acceptées dans l’histoire suisse, et cinq l’ont été dans les dix dernières années. À ce sujet, les initiatives populaires en Suisse peuvent être vues par cycle. Néanmoins, une différence existe entre le cycle actuel et le dernier cycle. En effet, le cycle précédent, allant de 1987 à 1994, peut être vu par le prisme d’une volonté de conscience écologique avec des initiatives touchant la protection des marais en 1987, le moratoire fédéral pendant dix ans sur les centrales nucléaires en 1990 et la limitation du trafic routier traversant la Suisse en 1994.

Une de Libération du 30 novembre 2009

Ainsi dernièrement, le cycle touche des domaines étant à la limité ou en opposition du droit international et du jus cogens comme l’internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables en 2004, l’imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine en 2008 ou encore une initiative, étant en instance suite à une plainte devant le Conseil de l’Europe, visant à interdire la construction de nouveaux minarets. Enfin, une dernière initiative concernant le renvoi des étrangers criminels, plaçant au même niveau les condamnations pour meurtres ou viols et la fraude à l’assurance sociale, sera soumise aux citoyens suisses le 28 novembre 2010.

De même, l’initiative populaire fédérale ’Peine de mort en cas d’assassinat en concours avec un abus sexuel’, depuis retirée après son examen préliminaire au Conseil fédéral, remettait en cause le droit universel à la vie. Ces initiatives montrent l’approche conservatrice que le collège électorale suisse est en train de prendre. La constitution suisse a dorénavant des articles mettant aussi bien en avant la liberté de conscience et de croyance (art. 15) et déclamant que : « La Confédération et les cantons respectent le droit international » (art. 5 § 4 de la constitution suisse) que des articles pouvant trouver complétement leur place dans les programmes de partis populistes du reste de l’Europe.

Face à l’émergence d’une nouvelle vague populiste en Europe et la création de nouveaux outils de démocratie participative au niveau communautaire par le Traité de Lisbonne, l’exemple suisse met en exergue l’affirmation croissante au sein des sociétés européennes d’un sentiment de rejet de l’altérité qu’elle soit le fait de l’appartenance à un autre espace national ou religieux ou qu’elle soit la résultante d’une marginalisation au sein de la société à la suite d’une action délictuelle ou criminelle. L’Union européenne risque de se retrouver face à un antagonisme entre ces valeurs répétées dans le Traité de Lisbonne – pour rappel à l’article 3 alinéa 3 : « Elle combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant. » – et la volonté des citoyens de l’Union mise en avant par la future initiative citoyenne européenne.

Crédit photo : Fabio Panico, Libération

Bibliographie :

Kriesi, Hanspeter. 1998. Le Système politique suisse. Paris : Harmattan, 1998.

Article publié initialement dans le blog de l’Institut européen

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