La Francophonie est-elle toujours un enjeu politique ?

À l’orée du Sommet de la Francophonie de Montreux, la question de la francophonie est toujours présente. Ainsi, l’Université de Genève a eu le privilège d’accueillir une conférence sur la Francophonie et la mondialisation le 16 septembre. Face à la mondialisation, il s’agissait de se questionner sur le devenir de la francophonie, de ses capacités de développement et d’adaptation.

Affiche du Sommet de la Francophonie de 2010

Avant toute chose, qu’est ce que la Francophonie ? Francophonie avec une majuscule ou une minuscule ? Le Petit Robert donne comme définition pour la francophonie en petit : « Ensemble des peuples francophones ». Cette définition, assez vague, comporte des termes pouvant être nuancés ou interprétés très facilement. Nous allons donc nous intéresser à une définition plus concrète, celle du grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Ce dernier définit la francophonie comme un : « Ensemble des populations dont le français constitue la langue maternelle ou véhiculaire, la langue officielle de leur pays, ou encore pour lesquelles cette langue est significative pour des raisons historiques ou culturelles » et la Francophonie est un : « Réseau de gouvernements, de pays, d’institutions qui ont le français comme intérêt commun et qui participent à des échanges dans le but de resserrer et de développer des liens économiques, culturels et politiques », ainsi la Francophonie ne se résume pas uniquement à l’Organisation Internationale de la Francophonie.

Comme nous le rappelait Jean Tardif, président de PlanetAgora, forum permanent sur le pluralisme culturel, l’importance stratégique des éléments culturels doivent dépasser l’assise nationale. La Francophonie a sur ce point un avantage face aux autres sphères culturelles avec la présence de TV5 Monde, média télévisuel public dépassant le cadre national et exemple de la Francophonie multilatérale plurielle. En effet son actionnariat regroupe les principaux tenants de la Francophonie institutionnelle avec les représentations du Québec et du Canada avec Télé-Québec et Radio-Canada, de la Suisse avec la SSR, de la Belgique avec la RTBF – ces trois pays ayant chacun 11,11% d’actions, la France avec l’Audiovisuel Extérieur de la France (holding contrôlant les participations de l’État français dans les médias radiophoniques et télévisuels francophones de diffusion international) – avec 49% – et France Télévision – avec 12,58%.

Néanmoins, cette vitrine de la Francophonie reste encore et toujours un instrument de rediffusion. Il est dès lors nécessaire de modifier les objectifs de cette chaîne en outil de diffusion et de regard les uns sur les autres, comme nous le précise Jean Tardif. Le secteur radiophonique connait aussi un outil conglomérant avec les RFP – Radios Francophones Publiques – qui, tout comme TV5 Monde, est un média exclusivement constitué d’éléments de la Francophonie du Nord. Cependant, la Francophonie du Sud connait l’entraide de cette Francophonie du Nord et cette dernière ne se désintéresse pas complètement de la première comme le montre le lancement il y a 3 mois, d’une web-télévision par TV5 Monde sur la base géographique africaine. Le CIRTEF – le Conseil International des Radiotélévisions d’Expression Française –pendant « humanitaire » des RFP et de TV5 Monde, est l’organisme principal d’entraide entre la Francophonie du Nord et celle du Sud agissant dans le but de rapprocher les radio et télévisions publiques francophones du Nord et du Sud sur les thématiques de la formation mais aussi d’aide au développement concernant les pratiques audiovisuelles. Néanmoins, ces différents organes restent des outils économiques du secteur public et non une coopération entre des radios ou des télévisions privées francophones.

Le monde actuel doit aussi faire face à la révolution numérique et la Francophonie, plus précisément l’aire d’échange francophone, n’est pas pertinente comme aire économique comme nous l’a expliqué Philippe Chantepie du Département des études de la prospective et des statistiques du Ministère de la culture et de la communication français. La langue n’est pas aussi importante que le Produit Intérieur Brut ou la distance. Toutefois, face à cette question de viabilité du marché francophone, une différence est à faire entre une certaine polarité entre la France, le Canada, la Belgique, la Suisse et la Roumanie concernant les domaines de l’écrit et du livre et une absence de complémentarité de ces mêmes marchés nationaux concernant les secteurs du disque et de la télévision et encore plus pour le cinéma. Ainsi, l’aire géographique nationale reste toujours importante.

Face à l’échec de la Francophonie dans le domaine économique en tant que marché viable, la Francophonie a-t-elle toujours une existence institutionnelle et est la preuve d’un réel attachement à une vision pluraliste dans les institutions internationales ?

La francophonie, dans les mots de René Chamussy, recteur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, est porteur d’un concept particulier et non présent avec d’autres langues : « Parler français, pour moi, et pour tout ceux qui m’entourent, c’est parler le langage de la solidarité ». Elle est représentative d’une contre-mondialisation par son agrégation d’éléments non contigus comme l’est l’Union Européenne et dans une logique purement culturel et non de marché comme l’est l’impérialisme américain. De plus, le français donne l’image d’une langue de la solidarité aussi bien dans la sphère linguistique francophone qu’entre les différentes sphères linguistiques ; ainsi l’aire francophone est au contraire de l’aire anglophone, traductrice et ouverte aux œuvres des autres aires linguistiques.

De plus, la francophonie européenne est en nombre de locuteurs la seconde francophonie au monde et le français est la langue officielle de la France, de la Belgique et du Luxembourg – trois des six membres fondateurs de l’Union européenne. L’Union européenne est aussi le berceau d’exemple contradictoire de la vision française : une langue-un territoire avec le modèle suisse ou luxembourgeois et son trilinguisme officiel et l’importance donnée aux minorités francophones comme dans le Val d’Aoste.

Cependant, au contraire de cette francophonie attirante, la France ne défend pas sa langue au niveau européen alors que l’un des principaux enjeux européens est d’éviter le monolinguisme et de placer l’Union européenne comme un carrefour des identités linguistiques. Le français est abandonné de plus en plus dans les organisations européennes ou internationales et le principe des trois langues cher à l’écrivain libanais Amin Maalouf devient la référence avec une langue maternelle, une langue de travail – l’anglais – et une langue d’adoption.

Cependant, même concernant le combat de la langue d’adoption, la francophonie s’admet vaincu avec comme le notait Jacques Pilet, où se produit un renforcement culturel et médiatique américain avec la numérisation des livres ou le rachat de réseau audiovisuel et la conquête des intellectuels comme dans les dernières années par des programmes d’invitation d’étudiants et d’intellectuels en provenance des pays d’Europe centrale et orientale sur le sol américain.

Alors que la Francophonie est aujourd’hui vue comme un espace commun, ou tout du moins comme une volonté telle. Marie-Christine Saragosse, directrice générale de TV5 Monde s’interroge ainsi sur le bien-fondé de la constitution de cet espace commun, arguant que la francophonie n’est pas commune, elle est avant tout mondiale. Aussi, « elle ne doit pas s’arrêter aux pays francophones ». La francophonie, par sa langue, incarne beaucoup plus. Odile Conseil, rédactrice en chef adjointe à Courrier International voit dans le langage de Molière une langue pivot.

Chargé d’Histoire, il convient pour autant de ne pas embellir la chose, Odile Conseil l’a ainsi très bien fait en dressant un portrait d’une Francophonie bien mal en point. La francophonie se base encore et toujours sur les choses en commun (c’est-à-dire le passé) et non sur une construction de la culture sur l’altérité (vers le futur) comme nous l’indique Michelle Bergadaà de la faculté des sciences économiques et sociales de l’UNIGE.

Abandonnée dans plusieurs pays d’Afrique, la langue française, bien que possédant un contenu spécifique, doit aujourd’hui sa survie culturelle en grande partie grâce aux multiples subventions octroyées par divers organismes. Si demain ce système de soutien au développement culturel de la Francophonie était davantage mis à mal, l’effondrement pourrait approcher à grand pas. Ce dernier se faisant déjà ressentir, la France se désengageant de la promotion de la francophonie avec les nombreuses fermetures d’instituts culturels français ou la baisse de subvention pour les organismes de promotion de la culture à l’étranger alors que des pays comme la Chine, l’Allemagne ou l’Espagne entament un chemin inverse.

Le développement langagier, le système de promotion de la culture diminue sans cesse, peut-être non par manque de volonté mais davantage par manque d’adaptation. Aussi, on assiste au développement de manière numérique de multiples cultures, tel que l’allemand, dans des pays où pourtant les liens historiques sont relativement inexistants. François Mitterrand prenait soin de poser la question il y a désormais de nombreuses années : « Que serait la Francophonie si personne ne parlait français ? » Il convient de garder ce questionnement en mémoire et il est aujourd’hui tant d’inverser la tendance. L’utilisation du soft power ne sous-entend pas une position passive. Si la Francophonie se doit, demain, d’exister, elle doit dès aujourd’hui prendre en charge son avenir.

Elle doit donc renforcer sa place là où elle est déjà présente mais également ne pas oublier l’Afrique, car comme l’a si bien rappelé Abou Diouf le 24 Juin dernier à l’Assemblée Nationale française : « Une Francophonie sans l’Afrique, serait une Francophonie sans avenir ». En effet, les enjeux sont importants puisque le français, dans les quarante prochaines années, est susceptible de voir tripler son nombre de locuteurs du fait de l’évolution démographique de l’Afrique.

Montreux

En conclusion, alors que comme Gérard Mordillat nous explique : « La langue, c’est la guerre », la Francophonie ne parait pas être un enjeu dans sa globalité : Le Monde ne fait plus de page ou n’inclut plus de reportage dans ces éditions lors des Sommets de la Francophonie et pour le moment le seul point commun des rédactions à propos du sommet de Montreux est le manque d’intérêt. Et la France développe de son côté des outils unilatéraux de diffusion de l’image de la France et non de la Francophonie avec notamment France 24. Des changements seront-ils possible pendant le Sommet ? Difficile d’y répondre par le positif tant le sujet est aujourd’hui ignoré. À moins d’une déclaration exceptionnelle et la mise en place d’une politique de promotion et de développement de la Francophonie radicalement opposée, le Sommet de Montreux devrait fortement ressembler à une « Francophonie des petits fours », en opposition à celle de la diversité, mise en avant par Michelle Bergadaà notamment.

Article co-écrit avec Louis Lepioufle et publié initialement dans le blog de l’Institut européen.

Crédit photo : Affiche du Sommet de la Francophonie de 2010, Abhijeet Rane

Laisser un commentaire