Une Europe politique mais… primaire

Les 9 et 16 octobre 2011 a eu lieu une première dans l’histoire de la politique française : un parti de gouvernement a organisé des primaires ouvertes à tous les citoyens afin de désigner le candidat qui portera les couleurs de ce parti pour la présidentielle de 2012. De telles primaires existent déjà dans cer­tains pays européens. Similaires aux primaires américaines mais différentes dans leurs caractéristiques, les primaires citoyennes du Parti Socialiste français vont-elles avoir une influence sur la démocratie à l’échelle des partis politiques européens ? Un tel acte politique peut-il encourager, à l’échelle de l’Union, la participation des citoyens à la politique ?

La primaire en France est un phéno­mène politique anormal, les partis politiques français n’en n’ont jamais connu avant celle du Parti Socialiste en 2007. En effet, le Premier Secrétaire, élu parmi les militants lors de congrès, était le leader naturel et devenait le candi­dat pour le poste de Président ou de Premier ministre en cas de victoire au scrutin législatif. La primaire de l’Union pour un Mouvement Populaire n’a jamais eu les caractéristiques d’une primaire du fait de l’unique choix à la disposition des votants mais ressemblait plus à un plébiscite pour le lancement d’une campagne électorale. Cepen­dant, il est important de remarquer que cette méthode de nomination n’est pas utilisée partout en Europe. Dans un même pays, différentes mé­thodes coexistent, mais diffèrent selon les partis. En effet au Danemark, en Irlande ou aux Pays-Bas, le leader du parti peut être aussi bien élu par le seul groupe parlementaire que par certains partis. (Gallagher, et al., 2011, pp. 340-341)

Les primaires de 2007 ont, de plus, été un échec au sein du Parti Socialiste français. Malgré une première vision positive de la victoire d’une candidate sans faction, cette dernière caractéris­tique a entrainé sa perte. Uniquement dotée de son organisation Désirs d’ave­nir, Ségolène Royal n’a pas pu se servir de la structure partisane déjà existante. La campagne a été ainsi désorganisée et souvent en contrepied des positions du parti qu’elle représentait (Gaffney, 2010, p. 188). Pour éviter un nouvel échec et conçues et inspirées très clai­rement des primaires américaine et italienne, les primaires citoyennes du Parti Socialiste français ont vu le jour sous la houlette de la fondation Terra Nova qui présente un premier rapport dès août 2008. Arnaud Montebourg fut chargé de porter le projet au sein du Parti Socialiste. Ouvertes à l’ensemble des citoyens français inscrits sur les listes électorales, elles se présentaient dès lors comme publiques.

Arguant le principe de transparence avant tout mais – on s’en doute – guidé également par le coût financier de cet évènement, le vote était possible uniquement à l’urne. Oublié donc le vote par procuration ou par corres­pondance, à l’exception des français résidant à l’étranger qui avaient la pos­sibilité de glisser leur bulletin dans une enveloppe à destination de Rue de Sol­férino en s’y étant préinscrit. Oublié aussi le vote électronique, véritable élément de démocratisation et utilisé dans dif­férents pays ou régions en Europe, à l’exemple de certains cantons suisses ou dans les onze circonscriptions des français de l’étranger. Désigner le can­didat lors de ces primaires se voulait donc être démocratique jusqu’à un certain point : l’ensemble des citoyens étant potentiellement concerné mais les modalités d’accès relativement li­mitées. S’inspirant du modèle dévelop­pé outre-Atlantique, les débats étaient pourtant relativement différents dans leurs structures comme l’affirme James Traub (2011) : « The debate, in format, resembled the American version, circa 1980 or so ». Des primaires old school synonyme de démocratie old school ? On pourrait le penser si on respecte à la lettre les propositions faites par Michel Balinski et Rida Laraki, tous deux éco­nomistes, reprenant un vieux débat de sciences politiques sur le scrutin majoritaire en opposition au jugement majoritaire. Alors que l’exercice démo­cratique voulu par le Parti Socialiste français se basait sur un scrutin unino­minal majoritaire à deux tours – sur le modèle de l’élection présidentielle française où seuls les deux premiers candidats passent au second tour en cas d’absence de majorité absolue au premier tour –, les deux scientifiques souhaitaient mettre en œuvre un scrutin qui « donne à l’électeur la possibilité de pleinement exprimer ses opinions. Au lieu de nommer un seul candidat, le [jugement majoritaire] lui demande d’évaluer les mérites de chacun des candidats dans une échelle de men­tions : Excellent, Très bien, Bien, Assez bien, Passable, Insuffisant, à Rejeter » (Balinski & Laraki, 2011). Cette méthode permet, d’après les auteurs susmen­tionnés, de réduire le taux d’abstention ainsi que de donner une appréciation plus fine de chaque candidat et can­didate. Dès lors, il permet de renforcer l’aspect démocratique de l’élection. Pourtant, combien d’électeurs opèrent leur décision de vote en analysant et en comparant le programme de chaque candidat ? Combien d’élec­teurs suivent la campagne de l’en­semble des candidats ? Noter chaque candidat sera alors très aléatoire et ne renforcera pas l’engagement des français, traduisant davantage une pensée vague plutôt qu’un choix basé sur la valeur politique des candidats.

Toutefois, l’un des principaux pro­blèmes des primaires ouvertes est le risque d’un détachement idéologique entre le candidat élu et le groupe parlementaire et/ou l’appareil poli­tique du parti. En effet, dans des sys­tèmes politiques où le groupe parlementaire ou le parti jouent un rôle important comme au Royaume-Uni, de trop fortes divergences suscitent un manque de confiance comme cela a été le cas après l’élection de Michael Howard en tant que chef du Parti Conservateur britannique en 2003 (Gallagher, et al., 2011, pp. 340-341). Le choix du candidat présidentiable par les citoyens ou les membres d’un parti politique peut diverger pour de mul­tiples raisons. Les enjeux ultérieurs pour gouverner ne sont pas perçus avec la même importance et l’appareil d’un parti peut mettre en avant une candi­dature soit modérée soit radicale, en vue d’une éventuelle coalition ou par­tenariat avec un parti tierce ; elle peut même choisir de se repositionner dans l’échiquier politique pour s’allier par exemple les électeurs médians.

À l’échelle européenne, le constat est clair sur le manque d’influence des partis politiques européens, tout du moins sur leur faiblesse et leur manque d’autonomie. L’extension des primaires telles qu’elles ont été organisées en France et dans d’autres pays d’Europe à l’échelle des partis politiques euro­péens pourrait réengager les partis politiques européens dans un pro­cessus démocratique plus proche du citoyen. Le chemin est long. En prenant l’exemple de la France, seulement 9% des français ont confiance dans les partis politiques (Représentation de la Commission européenne en France, 2009) et rappelons-le, seulement 1,8% des français adhèrent à un parti poli­tique (Gallagher, et al., 2011, p. 331). Malgré l’existence de divergences assez importantes sur ce point avec les citoyens de pays européens plus confiants en ces organisations inter­médiaires (50% des danois et 41% des luxembourgeois), les citoyens euro­péens sont majoritaires non confiants envers les partis politiques (16%). (Euro­pean Commission Representation in the United Kingdom, 2009) Toutefois, un tel acte politique pourrait par exemple avoir lieu avant les prochaines élections européennes. Le vote des citoyens eu­ropéens proche de certains partis poli­tiques permettrait de désigner des listes transnationales – comme c’est désor­mais possible – et de renforcer l’aspect public de ces candidats mais aussi plus largement de ces élections. Le citoyen pourrait également y voir une certaine transparence. Aussi, une participation, même relativement faible, permet­trait une autonomie d’action du parti politique européen concerné envers les partis politiques nationaux dont il est issu. La question de la confiance envers les partis politiques ne pourrait-elle pas connaitre un développement positif avec une évolution de ce type au niveau européen ?

La question essentielle est, ainsi, de savoir si ces primaires seront suffisantes pour redonner confiance aux citoyens face à la professionnalisation du per­sonnel politique et au détachement de la base militante, ainsi qu’à la dépoliti­sation par le transfert de prérogatives à l’Union européenne et le manque d’identification pour cette même Europe. (Katz & Mair, 1995, 2009). Cette déconnexion des partis politiques et de la société civile est dorénavant le principal challenge de l’évolution des primaires au niveau européen. De nombreux partis européens mettent en avant leur volonté d’élire le Président de la Commission européenne au suf­frage universel (la CDU en novembre 2011 notamment). Le choix d’une pri­maire pourrait ainsi être le premier véri­table suffrage transnational – l’élection du Parlement européen se faisant tou­jours sur le principe de lois électorales nationales – et viendrait alors prendre appui sur une évolution du Traité de Lisbonne, initiative citoyenne euro­péenne qui entrera en vigueur en 2012.

 

 BALINSKI, Michel & LARAKI, Rida (2011), Rendre les élections aux électeurs : le jugement majoritaire, Terra Nova, 21 avril 2011.

EUROPEAN COMMISSION REPRESENTATION IN THE UNITED KINGDOM (2009), Eurobarometer 72: Public Opinion in the European Union – National Report: United Kingdom, London: European Commission.

GAFFNEY, John (2010), Political Leadership in France: From Charles de Gaulle to Nicolas Sarkozy, Basingstoke: Palgrave MacMillan.

GALLAGHER, Michael, LAVER, Michael & MAIR, Peter (2011), Representing Government in Modern Europe, 5th ed, Maidenhead: McGraw-Hill.KATZ, Richard & MAIR, Peter (1995), Changing Models of Party Organization and Party Democracy : The Emergence of the Cartel Party, Party Politics, 1(1), pp. 5-28.

KATZ, Richard & MAIR, Peter (2009), The Cartel Party Thesis: A Restatement, Perspectives on Politics, 7(4), pp. 753-766.

REPRÉSENTATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE EN FRANCE (2009), Eurobaromètre 72 : L’opinion publique dans l’Union européenne – Rapport national : France, Paris: Commission européenne.

TRAUB, James (2011), That Seventies Show, Foreign Policy, September 30, 2011.

Crédit photo : vx_lentz

Article co-écrit pour Eyes on Europe avec Louis Lepioufle : « Une Europe politique mais… primaire » dans Eyes on Europe n°15, Bruxelles : Hiver 2011.

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