Une Europe pas si européenne au menu des Français

Olivier Duhamel, dans ses chroniques de conventionnel en 2003, posait le problème de la couverture faite par les médias français de l’adoption du projet de la constitution par la Convention : « Convaincre les citoyens, certes. Mais comment lorsque des médias ultra-populaires demeurent infra-protozoaires ». L’Union européenne, un échec constitutionnel et un traité de plus, ne passionne toujours pas les médias français.

Press area in the Justus Lipsius Building. Crown copyright.

Petit rappel de la décennie précédente : l’adoption par la Convention avait déjà reçu un traitement médiatique différent, comme aime le préciser Olivier Duhamel dans sa chronique du 14 juin 2003[1], allant d’un sujet d’une unique minute lors du journal télévisé de TF1 à la une de Libération. En 2011, qu’en est-il ?

Le site de la Représentation Permanente française, publiant une liste des journalistes français accrédités auprès des institutions européennes, nous indique la présence de six journalistes de la presse télévisée auprès des institutions de l’Union. Néanmoins, à y regarder de plus près, des différences persistent entre chaînes de télévision : France Télévision a deux correspondants (un pour France 2 et un autre pour France 3) alors que TF1 partage le sien avec LCI – son activité étant sans aucune mesure moindre que celle de son collègue de France 2 présentant au minimum une chronique quotidienne dans l’émission matinale. Un autre gouffre se fait ressentir eu égard aux chaînes d’information françaises : France 24 et BFM ont leur correspondant alors qu’I-Télé est la grande absente. Ces absences sont assez révélatrices du manque d’intérêt de certaines chaînes. En effet, le coût d’un correspondant peut être partagé entre plusieurs médias : le correspondant de BFM travaille aussi bien pour BFM TV, la radio BFM, pour le quotidien économique La Tribune mais aussi pour la radio francophone belge Bel RTL. Finalement, deux absents doivent être mis en avant : Canal plus nullement sauvée par sa filiale tout-info I-Télé et M6.

Le même constat se fait pour les radios où seules RTL, BFM et Europe 1 sont présentes à côté de l’importante délégation de cinq journalistes de RFI : Bruxelles est ainsi uniquement l’apanage des radios généralistes. La presse écrite se sauve de ce marasme par la présence de deux correspondants pour les journaux nationaux : Le Monde, Libération, Le Figaro, La Tribune et Les Échos. Néanmoins, la presse hebdomadaire (sauf Le Point) et la presse quotidienne régionale – premier vendeur de journaux en France – avec l’exception de Ouest-France par la présence de trois correspondants et Le Télégramme qui partage un correspondant avec La Tribune, sont complètement absents de la place européenne. Fortuitement, les absents ont les équipes AFP et de l’Agence Europe en nombre pour étayer le peu d’européanité de leurs nouvelles.

Dès lors, la presse quotidienne régionale et les médias de service public sont en position de force pour transmettre et analyser l’actualité européenne. Ils en ont du moins la possibilité. Car à y regarder de plus près, l’actualité européenne est généralement, soit trop technique, soit trop superficielle. Les possibilités sont pourtant nombreuses comme le rappelle Marie-Christine Vallet – directrice déléguée éditoriale Europe à Radio France : tout d’abord les discussions au Parlement, les comparaisons avec d’autres États membres (à l’échelle locale, régionale ou nationale), mais aussi parce que « dans tout dossier, sujet, domaines [journalistique] il y a un angle européen ». « Dans le journalisme européen, il y a toujours la possibilité d’apporter un angle local ».

Mais alors cette absence d’analyse et de reprise de l’actualité européenne dans le journalisme serait davantage liée à un manque de volonté de la part des rédactions ? C’est une possibilité : on se souvient de la perte d’audience de France Inter suite à l’intense couverture médiatique du Traité instituant une Constitution pour l’Europe.

A journalist at work ©European Parliament/Pietro Naj-Oleari

Le journalisme européen au sein des médias français existe donc. L’existence de la section française de l’Association des journalistes européens (AJE), de plusieurs formations au journalisme européen proposées par des centres de formations universitaires, tout comme, par extension, le fameux prix Louise Weiss du journalisme européen témoigne de cette présence. En somme, le problème réside surtout dans la demande, chez les lecteurs. Le journalisme européen ne demeure qu’un moyen d’intéresser le citoyen mais il ne peut le faire seul.

En fin de compte, l’Europe est-elle intéressante pour le citoyen ? Le correspondant de Libération à Bruxelles ne s’est fait connaître du grand public et a été invité à de nombreuses émissions télévisées sur un sujet autre que celui européen : l’affaire DSK. Les quelques députés européens mentionnés représentent les vecteurs people au Parlement européen. Ces derniers ne sont pas les plus présents : Rachida Dati et Jean-Luc Mélenchon culminent aux taux de présence respectifs de 58.41 % et 65,49%[2] depuis le début de la législature mais sont présents afin de donner de nombreux entretiens au détriment des travaux en commissions. Pour intéresser le citoyen français à l’Union, les différentes institutions et leurs membres devraient donc ajouter une touche de glamour et d’extravagance à leurs propos et attitudes, à l’image de la dernière campagne de communication de la Commission Européenne pour la promotion de la carte européenne d’assurance maladie avant la période estivale.

Crédits photos : European Parliament et Downing Street

Cet article a été co-écrit avec Louis Lepioufle et initialement publié dans le blog de l’Institut européen


[1] Olivier DUHAMEL, Pour l’Europe. Le texte intégral de la Constitution expliqué et commenté, Paris: Éditions du Seuil, 2003.

[2] Données accessibles sur le site VoteWatch.eu : http://www.votewatch.eu/index.php (consulté de le 18 juillet 2011)

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