L’Europe à Grande Vitesse : la mobilité européenne entravée ferroviairement

Dans un contexte politique international qui a fait des changements climatiques une de ses priorités, la question du transport ferroviaire à l’échelle européenne (passager et marchandise) semble profiter de cette dynamique. Une politique européenne dans le domaine ferroviaire a certes été mise en place, mais les acteurs principaux restent les acteurs nationaux, souvent étatiques. Malgré leur importance, ces acteurs agissent dans un secteur qui n’est pas complètement libéralisé, et de façon paradoxale, pour favoriser la création d’un réseau européen.

Gare de St-Pancreas à Londres

En effet, pour relier les grandes capitales européennes entre elles, le train à grande vitesse est devenu un élément pratiquement incontournable de la vie du voyageur quelque soient les raisons de son périple, affaires ou loisirs.Aller de Paris à Bruxelles ne met que 1h20 depuis le mois de décembre 1997 et nous ne sommes plus obligés de prendre un taxi ou les transports publics pour aller à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle ou Zaventem. De même, le trajet entre Paris et Londres n’est plus que de 2h30, sans compter l’avantage de se rendre à Saint-Pancras, plus proche de la City ou du centre de Londres que les aéroports de Gatwich ou d’Heathrow. Les trains à grande vitesse parcourent l’Europe occidentale, permettant à des euro-citoyens d’aller de ville en ville depuis les années 1990 mais ces améliorations cachent en réalité des différences de traitement.

Malheureusement, une première discrimination se produit : une fois dépassé Berlin, l’Europe ne connait plus de grande vitesse, le développement et les grands projets ferroviaires ne prennent pas en considération l’Europe centrale et orientale. Puis l’Europe à grande vitesse se résume ainsi à des métropoles du type de Paris, Londres, Bruxelles ou encore Strasbourg. Quant aux villes de taille moyenne, comme le montre l’exemple français, elles ont droit à des gares nouvelles, mais, loin de leurs centres historiques, où l’usage de la voiture ou des transports publics reste obligatoire pour y accéder. Aucun changement en la matière ne se profile, les développements récents des projets de la S.N.C.F. restant dans cette logique, comme le montre la volonté de construire 5 gares TGV de plus dans l’agglomération parisienne.

TGV, Thalys et Eurostar – Gare du Nord

Cette logique d’aménagement du territoire au contraire d’une volonté de maillage pertinent à l’échelle européenne est poursuivie, même au sein de l’Europe occidentale, comme le démontre un déplacement de Genève à Paris : un trajet mettant 3h28 malgré des améliorations récentes. De même, le trajet entre les 3 capitales européennes que sont Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg se fait par train express en 5 heures et non par un train à grande vitesse, et il est plus rapide de faire un changement à Paris en 4h30.

Les inégalités concernant les temps de trajet des différents services européens se poursuivent également dans les services fournis dans les trains. Le traitement des voyageurs en première classe amène d’étranges diversités : pour un voyage dans le Thalys, le voyageur se retrouvera face à un dilemme : utiliser son ordinateur et surfer gratuitement par wifi et/ou manger et boire aussi gratuitement, quant au voyageur se déplaçant grâce à l’Eurostar, il n’aura droit gratuitement qu’aux collations et boissons. Dans ces deux services, le voyageur aura la possibilité de lire gratuitement magazines, quotidiens souvent dans trois ou quatre langues. Le voyageur entre Paris et Genève aura au contraire la chance de devoir payer ses boissons et repas pris en première classe mais il pourra se distraire de la lecture d’un quotidien gratuitement.

Une rame Eurostar à Lille-Europe

Existerait-il une explication à ces faits ou des contradictions dans les politiques d’aménagement dorénavant vues à un niveau européen et financées par les institutions européennes ? Malgré ces financements, les logiques restent toujours nationales et correspondent à des intérêts d’aménagement du territoire ou de rapprochement politique entre états. Ainsi, il y aurait une hiérarchie des villes et des pays : Genève serait de moindre importance que Paris, Londres ou Bruxelles. Le cas de Paris est à mettre à part, la France, pays précurseur dans le développement de la grande vitesse, a permis à sa capitale de devenir un hub pour le réseau à grande vitesse européenne. En ce qui concerne les autres trois villes, mise à part les raisons d’intérêt politique, les raisons d’une déserte ne divergent pas. Londres est la capitale économique de l’Europe, de nombreuses sociétés ont leur quartier général dans cette ville mais elle n’abrite aucune grande instance internationale multilatérale. Bruxelles est le siège de l’Organisation du Traité d’Atlantique Nord et de nombreuses institutions européennes mais si la grande vitesse est parvenue à ses portes pour ses raisons, pourquoi Luxembourg, capitale d’un État fondateur de la CEE et siège d’institutions européennes, n’a-t-elle pas aussi été connectée au réseau à grande vitesse ? De même Genève est le siège de nombreuses organisations internationales multilatérales et est la ville regorgeant le plus de fonctionnaires internationaux au monde.

Siège de l’Agence ferroviaire européenne

L’Europe ferroviaire ne se fait pas sur les thématiques d’amélioration des connexions des capitales et autres métropoles au réseau à grande vitesse européen. Les réponses apportées par l’Union Européenne ne se font pas sur la densification du réseau mais sur d’autres thématiques, telles qu’une harmonisation au niveau de la sécurité et des normes techniques mise en place par la création en 2004 de l’Agence Ferroviaire Européenne basée à Valenciennes. Cette dernière étant mise en place pour simplifier l’ouverture programmée à la concurrence du transport ferroviaire pour les voyageurs est prévue pour le 1er Janvier 2010, ce qui permettra à de nouveaux entrants de venir utiliser sans contrainte les lignes à grande vitesse entre autre. Cependant, face au problème de l’élargissement du réseau actuel, comme le rappelle Richard Werly dans son article dans Le Temps du 10 novembre 2009, la Commission base sa politique de construction de lignes sur les opérateurs nationaux pour la plupart encore publiques. Les volontés de cette institution ne concernent pas les dessertes mais la construction de grands axes : Berlin – Palerme via Stuttgart, Zurich et Milan et Lyon-Budapest via Turin. Malgré ces projets, les problèmes de réseau ne sauront pas résolus en Europe de l’Est. Enfin, ces projets ne marqueront pas une réelle vision européenne par la construction de l’axe Bruxelles-Luxembourg-Strasbourg non viable économiquement selon des études de marché, et finalement oublieront d’autres régions européennes comme la péninsule ibérique ou la Scandinavie.

Article publié initialement dans le blog de l’Institut européen

Crédit photos : Alan Cleaver; yisris; Andy Roberts; Siège de l’Agence ferroviaire européenne 2009

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