La démocratie participative : caractéristique d’une nouvelle période européenne ?

Le traité de Lisbonne prend suite au traité constitutionnel et essaye de répondre aux défis visant à rendre l’Union européenne plus transparente et plus démocratique. Il a ainsi mis en place un nouveau canal de participation, l’initiative citoyenne européenne. Malgré une naissance inattendue, cet instrument a l’objectif d’améliorer la participation des citoyens européens. En parallèle des possibles catalyseurs d’un embryon d’espace public européen que sont le recours à la pétition, la sollicitation de l’ombudsman et l’élection au suffrage universel direct du Parlement européen, l’initiative serait complémentaire d’autres instruments comme la lettre ou l’audition à la Commission ou la participation aux livres blancs et verts de la Commission. Cependant ces derniers sont des liens directs entre le citoyen perçu individuellement et les institutions européennes mais ayant un impact ou input faible dans la mise en place des politiques européennes. L’Union européenne se dote ainsi d’un instrument lui permettant de développer d’une façon plus approfondie le modèle-type de la démocratie participative après avoir déployé les modèles délibératif et représentatif, ces trois modèles entraînant un système politique démocratique. Mais qu’en est-il réellement de cette démocratie participative au niveau européen et est-ce que l’initiative citoyenne est le début d’une révolution copernicienne ?

Un instrument de démocratie parmi d’autres

L’Union européenne, dans ses efforts, depuis le traité de Maastricht, de lutte contre la faiblesse de légitimation démocratique de ses institutions, a entrepris d’accroître l’importance donnée aux instruments de réduction de ce déficit démocratique. La date charnière de cette réflexion est la Déclaration de Laeken. Cependant, la construction de ce schéma institutionnel entre cette déclaration et la mise en application de ces outils a été longue et parsemée d’impasses comme l’absence de ratification du Traité constitutionnel. Néanmoins, le 1er décembre dernier, par l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, les mécanismes institutionnels européens ont été modifiés dans ce sens. Ainsi ce traité apporte des éléments à cette lutte en accroissant le rôle des Parlements nationaux, avec un contrôle sur la subsidiarité par exemple, de la société civile mais également des citoyens. La démocratie participative se place dorénavant en complémentaire de la démocratie représentative. Trois types de légitimation démocratique coexistent ainsi pour l’Union européenne : les instruments de légitimité directe comme l’élection du Parlement européen, ceux de légitimité indirecte comme l’élection au niveau national des chefs d’État ou de gouvernement du Conseil européen et enfin les canaux de participations citoyens comme le droit de pétition ou le droit de recourir au médiateur. L’initiative citoyenne fait partie de cette dernière catégorie : celle des canaux de participation citoyens et de légitimité indirecte et se range ainsi dans un arsenal d’interactions possible par les citoyens.

Un point de relance de la démocratie participative en Europe

Les volontés de démocratie participative ont refait surface dans les trente dernières années en Europe comme le montre les rapports et résolutions dans les années 1980 au Parlement européen. Mis à part la Confédération Helvétique, où le droit d’initiative populaire persiste au niveau fédéral depuis plus de 150 ans, d’autres éléments constitutifs de la démocratie participative se sont développés dans la dernière décennie au sein des pays européens, avec l’exemple des budgets participatifs en Espagne ou au Royaume-Uni, les principes de démocratie participative au niveau local comme à Paris sous le premier mandat de B. Delanoë ou finalement les jurys citoyens ou planungszellen au Royaume-Uni et en Allemagne (BACQUE et SINTOMER 2010). Les volontés d’incorporer un élément de démocratie participative marquent ainsi une réelle volonté politique actuellement. Des suites de la Déclaration de Laeken, la Convention sur l’avenir de l’Europe de 2002 a, par conséquent, présenté des éléments instaurant la démocratie participative au sein de l’Union européenne avec l’article 46 de la Convention : « Principe de la démocratie participative ».  Cependant, l’échec du Traité constitutionnel européen n’a pas entièrement entravé la mise en place d’une démocratie participative au niveau européen.

Ces volontés se concrétisent actuellement dans le Traité de Lisbonne par l’article 11 §4 nous indiquant que : « Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités. » (Traité sur l’Union européenne 2008)  Ce point du traité de Lisbonne est en phase de discussion et de mise en application au sein des institutions européennes ; en effet, une consultation sur les modalités ayant été entreprise.

Un nouvel élan pour l’Union européenne ?

L’actuelle présidence tournante du Conseil de l’Union européenne se trouve dans la position charnière de devoir mettre en application et en fonctionnement les principaux changements liés au Traité de Lisbonne comme le Service Extérieur d’Action Européen ou dans notre cas l’Initiative Citoyenne Européenne. Ainsi la présidence belge, par l’intermédiaire du secrétaire d’État aux affaires européennes Olivier Chastel a entrepris de mettre en avant ces nouveautés et, dès lors, donner une aide à ces avancées institutionnelles : « Après la phase d’introspection initiée il y a 9 ans par la déclaration de Laeken ; Après la longue transition jusqu’à la ratification du Traité de Lisbonne, le temps est venu de « remettre l’Europe en action » » (CHASTEL 2010). Plus précisément, cette attention se porte sur le fait que : « L’initiative citoyenne européenne est l’un des aspects les plus visibles et les plus concrets des innovations introduites par le traité de Lisbonne » (CHASTEL 2010) et la vision que ce moyen est :  « Une avancée significative de la vie démocratique de l’Union et contribuera à rapprocher l’Union de ses citoyens et à encourager un plus large débat, transfrontière, sur les questions touchant à l’UE » (CHASTEL 2010). Le choix pertinent de mettre en lumière cette nouveauté se marque par la possibilité d’une publicité plus aisée sur ce lien entre citoyens et Commission que sur les autres nouveautés, plus obscurs pour le citoyen lambda.

De plus, au contraire de l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct sur la base d’un corps électoral national et des sondages Eurobaromètre sur des thématiques européennes mais également calculés sur des bases statistiques nationales, l’initiative citoyenne européenne limitera l’aspect national en mettant en avant le caractère transnational de réflexions, de volontés politiques réellement européennes par l’obligation d’obtention de signatures dans un minimum donné d’États-membres. En parallèle de ces incidences sur le peuple, cette initiative peut avoir des conséquences sur les organisations intermédiaires et ainsi créer des ponts et servir de relais par l’émergence d’une organisation spécifique d’acteurs qui sont actuellement présents dans les lieux de décision européens, Bruxelles et Strasbourg, mais qui n’ont pas de maillage à travers l’Union européenne ou uniquement à travers leur membres nationaux. La question de l’opérabilité de la récolte de signature et de publicité sur les espaces publics nationaux jouera un rôle essentiel.

Des points en suspens

Sa mise en application reste en suspens, des éléments pratiques sont toujours en questionnement. En effet : « Cet instrument doit rester proche du citoyen et facile à utiliser. […] Étant donné qu’il s’agit d’une initiative visant à mettre certains sujets à l’ordre du jour, les règles et procédures doivent être proportionnées et ne pas être inutilement restrictives pour les citoyens. » (CHASTEL 2010) Face à ces questions d’utilisation, il est aussi important de remarquer que : « Les référendums d’initiative populaire permettent à des groupes et intérêts ne disposant pas d’un accès aux sphères décisionnelles – ou mal représentés en leur sein – d’influencer les choix politiques. » (PAPADOPOULOS et BUFFAT 2007, 265) Par conséquent, une des pistes d’utilisation mènera aussi bien vers les citoyens que vers les groupes d’intérêts ou les partis non représentés. Néanmoins le critère non obligatoire de prise en considération par la Commission affaiblit ce principe de démocratie participative. L’initiative pourra finalement n’avoir un rôle que pour la mise à l’agenda politique de certaines thématiques. Enfin la question de la rentabilité est tout entière du fait d’une disproportion entre le coût humain et financier et son caractère non obligatoire.

Une ouverture vers un espace public européen

Toutefois, l’initiative citoyenne européenne formera avec les autres canaux d’interaction une continuité et elle pourrait constituer une première étape vers la création d’un espace public européen : les questions d’admissibilité d’une initiative obligeront les initiants à mener une campagne citoyenne dans plusieurs pays. Ceci permettra d’éviter de privilégier les opinions publiques de certains États, la proposition de la Commission allant dans ce sens avec des signatures dans au minimum un-tiers des États-membres. Parallèlement, l’initiative pourra devenir un feed-back des politiques publiques de l’Union européenne proposant ainsi une relation beaucoup plus étroite entre le citoyen européen et les politiques publiques européennes, agissant comme un effet légitimateur.

Ainsi, l’Union européenne a franchi un pas non négligeable en s’armant d’outils de démocratie participative mais le caractère non obligatoire et les critères d’opérationnalisation de l’initiative citoyenne risquent d’entrainer le développement d’un simple outil supplémentaire et non une réelle réponse au défi démocratique dans l’Union européenne.

Bibliographie

BACQUE, Marie-Hélène, et Yves  SINTOMER (dir.). La démocratie participative inachevée. Paris, Gap: Adels et Yves Michel, 2010.

CHASTEL, Olivier. «Discours devant la commission des affaires constitutionnelles.» Bruxelles, 13 Juillet 2010.

HÖRETH, Marcus, et Jared SONNICKSEN. «Principes démocratiques et institutions.» Dans Le Traité de Lisbonne en discussion : quels fondements pour l’Europe ?, de Claire Demesmay, & Andreas Marchetti, 67-78. Paris: Institut français des relations internationales, 2009.

PAPADOPOULOS, Yannis, et Aurélien BUFFAT. «Concrétiser la démocratie participative en introduisant un « référendum d’initiative populaire » dans le système politique européen.» Dans Une Europe des élites ? Réflexions sur la fracture démocratique de l’Union européenne, de Olivier Costa, & Paul Magnette, 259-278. Bruxelles: Editions de l’Université de Bruxelles, 2007.

«Traité sur l’Union européenne.» Journal officiel de l’Union européenne, 9 Mai 2008.

Article publié initialement dans Eyes on Europe n°13, Bruxelles : Novembre 2010

Laisser un commentaire